De l'humus à l'argile

Mon premier métier : jardinière

Toute petite déjà... Dans le jardin de mon grand-père

Avant de faire des terres cuites, j'ai passé 20 ans à travailler avec de la terre "vivante"...

Le jardinage : un beau métier souvent sous-estimé, où se conjuguent pourtant savoir-faire et connaissances techniques, tout deux nécessaires à l'obtention de végétaux en bonne santé  associés de façon harmonieuse. 

 

Il manque à beaucoup de professions une dimension soit corporelle, soit intellectuelle ; la participation de chacun y est souvent parcellaire, fragmentaire, et donc plus ou moins génératrices de frustrations.

Je voudrais donc ici rendre justice aux jardiniers. Pour planter un arbuste, par exemple, on doit mettre en jeu différentes capacités. Tout d'abord le choix du végétal, qui se fait en fonction du sol, de l'exposition, d'une éventuelle résistance aux maladies, au gel, au sec, etc., ce qui implique un minimum de connaissances agronomiques. Puis il faut choisir, parmi tous les choix possibles en fonction de ces critères, la plante dont la silhouette, la couleur, le volume  formera une belle association avec les végétaux voisins : on est là dans le domaine d'une créativité artistique, d'une recherche esthétique. Puis il faudra entretenir cet arbuste :  décider ou non de le tailler, selon sa végétation et sa destination. Calculer  la quantité d'eau qu'il faudra lui apporter, et à quelle fréquence (la bonne gestion de l'eau, indispensable dans la perspective d'un respect de l'environnement, demande des connaissances assez pointues). Si plus tard cet arbuste est attaqué par un "ravageur "ou une maladie, on saura comment l'en débarrasser (ce qui implique des connaissances en phytopharmacie ou en traitements bio, quand ils existent). 

 

On voit que les efforts ne sont pas seulement physiques ; bien sûr il faut être en bonne forme, et si possible un peu musclé... Mais les gestes, s'ils sont bien contrôlés, ne devraient pas être traumatisants. En refusant de fléchir les jambes pour porter une charge "parce qu'ils sont pas des gonzesses", de nombreux jardiniers ont des lombalgies précoces. En revanche, le jardinage demande de savoir observer, y compris les infimes détails, d'apporter du soin aux finitions, et de la patience, nécessaire pour certaines actions pas très spectaculaires. Qualités indispensables au jardinier, et qui ne nécessitent aucune force.

 

Les jardiniers des services publics ont de plus une fonction sociale non négligeable, qui est de fournir un cadre agréable aux gens qui fréquentent un jardin pour leur pause déjeuner ou pour la déclaration d'amour qui restera à jamais associée dans leur souvenir à l'éclosion des fleurs d'un pommier... Les personnes âgées y retrouvent des repères stables, le bonheur de respirer une rose, le joie de regarder des enfants jouer. Les promeneurs y oublient un instant la ville et ses bruits. Les écoliers y trouvent une détente fort bienvenue après avoir appris la table des 7 ou l'accord du participe passé !

 

Quand on jardine, les résultats sont visibles soit immédiatement, ce qui est très gratifiant, soit à l'issue d'une période plus ou moins longue, ce qui entretient espoir et confiance dans l'avenir.  

 Le jardinier sait que tout a un temps, mais aussi que tout ce qu'il fait s'inscrit dans la répétition, le retour, la transformation : les feuilles mortes donnent un humus nourricier, la graine un nouvel arbre, la fleur un fruit... Le jardin est une vitrine du cycle de la Vie.


Le jardinage est sans aucun doute le plus vieux métier du monde exercé par les femmes, quoi qu'on en dise... Je suis toujours étonnée de voir que beaucoup pensent qu'il ne s'est féminisé que récemment. Quand la race humaine n'était pas sédentarisée, qui cueillait les fruits et déterrait les racines pendant que les hommes étaient à la chasse ?

Et sans remonter si loin, qui travaille majoritairement dans les rizières en Asie ? Qui plante et bat le mil en Afrique ? Et qui, le plus souvent, sarcle les rangs de poireaux dans les potagers des petits villages français ?

 

De l'humus à l'argile

Depuis très longtemps (depuis toujours ?), j'avais le rêve de modeler des personnages. Mais au vu de mes réalisations quand, pour faire plaisir à un enfant, je tentais de faire un mouton - ou tout autre animal - en pâte à modeler, je me suis vite résignée à l'idée que ce n'était pas une activité pour laquelle j'était faite...

Mais un jour, lors de travaux de nivellement pour la création d'un  jardin, la pelleteuse a mis au jour une épaisse couche d'argile verte. J'en ai prélevé un bloc, me disant que là, vraiment, il fallait que j'en fasse quelque chose. L'argile me semblait plus facile à manipuler que la pâte à modeler (ce qui n'est pas faux !)

Le temps a passé. L'argile a durci. Mon enthousiasme a faibli. Et un jour de grands rangements, hop à la poubelle !


Une amie qui fréquentait un atelier de sculpture me prêta en 2002 un ouvrage écrit par sa professeure. Je décidais, dès la dernière ligne lue, de m'inscrire à ce cour. Depuis, je n'ai plus cessé de modeler, d'abord des petits personnages imaginaires, puis des nus d'après modèles vivants. 

 


Des créatures imaginaires, des masques...


Des p'tits bonshommes, des têtes bizarres, dont voici quelques représentants...


Des sculptures d'après modèles

Comment oser ?


Comment oser sculpter quand on est née au milieu du XXè siècle, qu’on n’a jamais touché l’argile avant 55 ans, qu’on est une personne tout ce qu’il y a de plus normale, et qu’avant vous il y a eu Camille Claudel, Germaine Richier, Etiyé Dimma Poulsen, Niky de St Phalle, Louise Bourgeois, Picasso, Michel-Ange, Rodin, Giacometti, Bourdelle, Degas, Zadkine, Branchusi, Henry Moore, José Vermeersch et l’immense Ousmane Sow... Sans parler de ces innombrables et sublimes créateurs, souvent anonymes, qu'ils soient africains, asiatiques, américains précolombiens ou arctiques. 

 

Il suffit d’avoir frôler la mort.

Ça rend tout possible... Seul compte alors le bonheur de l’instant.


Quel héritage !



Être malade...


En 2009, on m'a proposé de participer à un concours ouvert aux femmes ayant été victimes d'un cancer du sein.

J'ai imaginé raconter mon parcours à travers une petite scène, comme dans un mini théâtre.

Je n'ai pas gagné le concours, mais je suis heureuse d'avoir fait ça :

Toutes les femmes sont des Vénus

Un jour une de ces Vénus apprend qu'on va devoir trancher dans son vif

Elle pleure beaucoup

Elle refuse elle ne veut pas

 

Le matin arrive

L'amputation quelle cruauté 

Elle se regarde une dernière fois

dans le miroir ô son miroir

son moche miroir de l'hôpital

Ce n'est pas possible

Non elle ne veut pas

 

Elle se réveille

C'est fait c'est irrémédiable

Le doux c'est du carton maintenant

Le jumeau est parti

L'autre tout seul n'a plus aucune beauté

Il va falloir quand même qu'elle s'aime

Plus qu'avant

Qu'elle soit douce et gentille avec ce corps

Qui n'est pas responsable le pauvre

Il va bien falloir

Que quelqu'un l'aime encore

Elle va l'aimer

Elle va s'aimer

Elle se le promet

 

Elle a tenu promesse

Elle vit encore

D'aimer tellement la Vie

Maintenant elle met au monde

Des petites Vénus de terre

pour

Encore mieux

Aimer vivre



De la sculpture à la poterie


 

Après quelques mois passés en 2003 dans un atelier de sculpture, je me suis inscrite en 2005 dans un atelier municipal de poterie, et dans un atelier de sculpture d'après modèle vivant. 

 

Mais je dois beaucoup aux conseils d'Anne-Marie Deloire*, qui a eu la gentillesse de m'initier à la poterie montée à partir de colombins. C'était la découverte d'une expression céramique où je trouvais plus de liberté que dans la sculpture... Car les formes qu'on peut donner à un pot, et le travail sur leur texture, sont infinis.

 

En 2010, j'ai acquis des techniques qui me manquaient dans  l'atelier de Valeria Polsinelli, "Graines de terre", en particulier dans l'utilisation des engobes et des émaux..

 

Depuis plus de dix ans, j'explore donc, humblement et joyeusement, l'infinité des voies qui s'offrent dans la pratique de la céramique. Mon passé de jardinière me porterait volontiers à dire que je n'arrive pas à me restreindre à un seul sillon ! Je préfère semer à tous vents…

 

J'aime, quand je modèle l'argile, me laisser aller à la découverte de ce qui va se créer dans mes mains. Avec tranquillité et attention. 

 

J'ai appris à ne pas trop me laisser impressionner par la terre, à lui faire comprendre là où je veux aller, avec douceur, avec force, mais en veillant à ce qu'il n'y ait aucune brutalité dans le geste.

 

Il faut accepter ses propres limites, et tenter de les dépasser…

 

Quel bonheur, quelle joie, quand on y arrive !

 

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