Museum of Everything

Henry Darger

Comment ai-je fait pour lire des kilomètres de textes sur l'art brut, et être passée à côté de cet auteur/peintre tout à fait impressionnant (et très connu) ? Mystère du vagabondage sur les chemins d'internet et les sentiers de l'autodidacte... Mais aussi, force d'une œuvre vue "pour de vrai". 

 

Enfin bref, quand je suis allée voir en 2013 une expo intitulée "The Museum of Everything", Bd Raspail à Paris... Un grand choc ! Dans la première salle, de grandes fresques avec des enfants, euh, comment dire, des enfants bizarres. Des petites filles toutes mignonnes. Des fillettes dotées d'un petit sexe masculin. Des personnages avec des queues de dragons et des ailes de papillons. Et certaines scènes à la limite du supportable.  

 

Vite vite vite, recherche sur le web ! Pas mal de sites en anglais, quelques-uns en français. J'ai fait mon marché, et j'ai résumé.

Voilà donc une bio sommaire, et un aperçu du conte absolument abracadabrantesque que cet Américain a écrit et illustré.

 

·      Biographie de Henry J. Darger

 

Henry J. Darger est né le 12 avril 1892. Sa mère est morte quand il avait 4 ans, en mettant au monde sa petite sœur, immédiatement confiée à une autre famille et qu'il ne verra jamais. 

 

 

Il a été élevé par son père jusqu'à ses 8 ans en 1900. À la fin de sa vie, son père était devenu trop faible pour s'en occuper : le jeune Henry entre alors comme pensionnaire dans l'établissement catholique où il était déjà élève. Son comportement perturbe ses camarades qui ne tardent pas à le traiter de fou. Il parle seul, de manière irrépressible et inopinée. Il était probablement affecté par le syndrome Gilles de la Tourette.

 

Persuadé d'avoir un don lui permettant de savoir quand les adultes lui mentaient, il se montre très rétif à toute forme d'autorité. Sa pratique de l'onanisme en public finira par le faire interner en 1905. Il séjourne plus de 7 ans dans un institut réputé pour la sévérité des traitements aux malades ; il tente de s’en évader à plusieurs reprises.

C'est lors d'une de ces fugues, en 1908, qu'il est témoin d'une puissante tornade qui ravage le Comté de Brown dans l'Illinois. Ce cataclysme laisse des traces prégnantes dans son imaginaire, comme en témoigne le motif récurrent de la tempête à l’intérieur de ses tableaux.

 

À 16 ans, lors de sa troisième tentative d'évasion, il parvient à regagner Chicago. Il y trouve le soutien et le réconfort de sa marraine. Elle lui trouve un emploi de portier dans un hôpital catholique, où il travaillera jusqu'à sa retraite, en 1963. Il commence alors à régler sa vie selon un emploi du temps immuable. Catholique dévot, il assiste à la messe tous les jours.

 

Il collectionne pour les amasser des détritus de toutes sortes (jouets, figurines religieuses, images de saints, chaussures, pelotes de ficelles, magazines et bandes-dessinées). Il consigne quotidiennement dans un journal le temps qu'il fait et les erreurs commises par les météorologues dans leurs prévisions. Il n'a qu'un seul ami, dans cette vie recluse et solitaire : William Scholder (qui meurt en 59). Tout deux s'investissent dans des œuvres de charité dédiées aux enfants abandonnés ou maltraités.

 

De 1930 à 1973, Darger occupe la même chambre à Chicago, au 851 W Webster Avenue, non loin du Lincoln Center Park, dans le North Side. C'est là qu'il se consacre secrètement à l'écriture et à la peinture. Personne ne sait combien de temps lui a demandé la composition de son œuvre :

 

      The Story of the Vivian Girls, in what is Known as the Realms of the Unreal, of the Glandeco-Angelinian War Storm, Caused by the Child Slave Rebellion 

(L'Histoire des Filles Vivian, dans ce qui est Connu comme les Royaumes de l'Irréel, de la Tempête de la Guerre Glandeco-Angelinian, Provoquée par la Rébellion des Enfants Esclaves.)        

Ce titre est souvent résumé ainsi : "In the Realms of the Unreal" (Dans les royaumes de l'Irréel)

L'histoire est racontée dans 12 volumes, composés de 15 145 pages format A4, tapées à la machine en interlignes simples, ainsi que de plus de 300 grandes peintures à l'aquarelle, des dessins et des collages plus petits.


Il a aussi écrit trois autres ouvrages :

 

1.  son autobiographie (L'Histoire de ma vie, 5 084 pages),

2.  un journal quotidien météo tenu pendant 10 ans,

3.  un autre roman : "Crazy House", de 10 000 pages manuscrites.

Ce n’est qu’après sa mort en 1973 (à 81 ans) que l’œuvre à laquelle il avait travaillé toute sa vie fut découverte par Nathan Lerner, le propriétaire de son appartement. Celui-ci, photographe reconnu ayant notamment travaillé pour le New York Times, perçoit immédiatement l'intérêt du travail de son locataire et se charge de créer une fondation destinée à mettre ce fonds en valeur.

 

Henry Darger est inhumé au cimetière All Saints de Des Plaines (Illinois), dans le carré réservé aux personnes âgées des Petites Sœurs des Pauvres. Sur sa pierre tombale, il est dépeint comme artiste et "protecteur des enfants".

 

In the Realms of the Unreal

C'est un roman qui narre sur plus de 15 000 pages les aventures dramatiques et héroïques de sept sœurs (Les filles d'un dénommé Vivian), venues à la rescousse de fillettes esclaves de seigneurs de guerre sadiques, appelés Glandelinian. Ces fillettes  s'étaient rebellées contre leurs oppresseurs, et il s'en était suivi des scènes de massacre très violentes.

Les soeurs Vivian sont princesses du royaume Abbieannia, où règne la religion catholique, l'amour et la liberté.  


Le paisible domaine d’Abbiennia est menacée par les Glandéliniens, des militaires sans foi ni loi qui n’ont pour seule motivation que de réduire les enfants en esclavage.


L'histoire se déroule sur une planète mythique, peuplée de créatures fantastiques et ailées, les Blenginglomeneans.


Le roman dépeint des batailles sanglantes et des paysages bucoliques, jouant souvent sur l'opposition entre les forces du bien et du mal. Darger a utilisé une technique de pochoir pour transposer des images photocopiées à partir de magazines populaires sur de longs rouleaux de papier.

 

Voici une des fresques avec le texte explicatif d'Henry Darger :

"Les princesses Vivian, ces petites filles dessinées ici dans leurs plus beaux vêtements, semblent heureuses ici, mais ce qui est écrit sur elles ici devrait faire que l'observateur ne désire pas être leur place. Je parie qu'aucun saint sur terre n'a eu à subir dans une vie d'horreur autant de souffrances et de chagrin qu'elles. Juste parce qu'elles sont bonnes, de méchants poes (?) les ont exilées sur l'île du Diable et sur une île de lépreux. On dit d'autres choses épouvantables sur elles. Les petites filles [sont] montrées dans différentes poses, et eux aussi, mais dans des déguisements. Elles sont très braves, saintes et très indulgentes. Le garçon dans l'image est leur frère Penrod." (NDLT : traduction la plus littérale possible)


Détail de la fresque ci-dessus :

Les fillettes sont kidnappées par des militaires et transportées sur une île pour devenir les esclaves sexuelles des Glandelinians.


Le drapeau des Glandelinians 

 

 

Les sœurs Vivian vont s’opposer, "au prix de sacrifices héroïques, aux visées maléfiques des Glandélinians". 

 

Elles vont mener "une guerre sans merci aux habitants diaboliques du pays de Glandelinia, dirigé par John Manley".

 

 

 

Les fillettes sont souvent nues, pourvues d'organes génitaux masculins*, et parfois des cornes de mouflons sur la tête, voire une queue de dragon médiéval au bas du dos.

 

 

* Une hypothèse est que Henry Darger n'ait jamais vu de corps féminin, et imaginait les petites filles semblables aux garçons.

 

Elles sont sacrifiées à la barbarie d'hommes en uniforme. 

 

L’ennemi glandélinien montre toute l’étendue de sa cruauté. Éviscérées, dénudées, torturées, démembrées, étranglées, pendues, rien n'est épargné aux fillettes d’Abbiennia. 

 



Les enfants prennent les armes pour se défendre, mais sont souvent tués ou torturés à mort par les suzerains.

 

Pour aider à la libération des petits enfants esclaves, les sept sœurs sont aidées par des armées chrétiennes et des Blengins, sortes de dragons redoutables mais doux avec les enfants, aux ailes de papillons, aux longues cornes enroulées et au corps couverts d'écailles se terminant en queues pointues. 

 

 

 

 

 

 

Les Blengins


Ils ont pour mission de protéger les enfants, mais ils se méfient des hommes. 

Après avoir espionné leurs ravisseurs, les fillettes vont tenter de s'échapper en se cachant dans des tapis. Elles mettent le feu à la maison où elles sont retenues.

Toutes ces aventures se déroulent sur une vaste planète autour de laquelle gravite la terre, à la façon d'une lune.


Les illustrations sont parfois douces, dans des cadres champêtres, et parfois d'une sauvagerie violente.

Il y a deux fins au récit :

 

1.  Les filles de Vivian et le christianisme triomphent, mais c'est au milieu d'immenses étendues recouvertes de corps d'enfants.

 

2.  Elles sont battues par les Glandelinians athées.

Les descriptions d'innombrables batailles sont remplies de détails les plus crus : le lecteur peut entendre les rires forcés des fillettes se transformer en cris de souffrance…

Sachant que ses capacités de dessinateur étaient limitées, Darger s'est inspiré des comics américains (Miss Muffet, Coppertone Girl, ou Little Annie Rooney) et les copie. Il les découpe, les fait agrandir et démultiplier au rayon photographie du bazar local. Une fois muni d'une infinité de formats, il les décalque pour former des compositions souvent très complexes, pourvues de nombreux plans.


Au début uniquement considérée par le prisme de l'Art brut, l'œuvre de Darger quitte progressivement son statut marginal. "Sa complexité thématique, sa sophistication technique et son amplitude narrative ont été mieux comprises. Elle occupe désormais une place singulière parmi les œuvres visionnaires les plus novatrices et les plus profondément personnelles du XXe siècle".(inEdward Madrid Gomez, Henry Darger : une vie et un art d'exception, introduction à Bruit et fureur : l'œuvre de Henry Darger, Andrew Edlin Edition, New York, 2006).


L’œuvre de Henry Darger est répartie entre différents musées, surtout nord-américains, notamment l'American Folk Art Museum et le MoMA de New York, l'Art Institute de Chicago, ainsi que le LaM de Villeneuve-d'Ascq et la Collection de l'art brut de Lausanne. Elle a fait l'objet d’une exposition monographique à la fondation de Galbert, la Maison rouge, à Paris durant l’été 2006.


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